Des précisions sur l’évaluation environnementale des SCoTs
Le schéma de cohérence territorial du Pays de Maurienne planifiait d’importantes extensions de domaines skiables dans des secteurs présentant une qualité paysagère et écologique remarquable, notamment à proximité immédiate du Mont Thabor et du cœur du Parc National de la Vanoise. Ce document érigeait également comme objectif la création de plus de 20 000 nouveaux lits touristiques, alors que la Maurienne compte déjà plus de 70 000 lits loués moins de 4 semaines par an (phénomène des lits « froids »).
Le document autorisait la création de 10 unités touristiques nouvelles, permettant la réalisation de projets touristiques d’une grande ampleur et de déroger au principe applicable sur les territoires de montagne, selon lequel l’urbanisation doit être réalisée en continuité de l’existant.
La suspension partielle puis l’annulation du SCoT du Pays de Maurienne, prononcées respectivement en 2021 et en 2023, illustrent la prise en compte croissante par les juridictions administratives des enjeux environnementaux. Ces jurisprudences du tribunal administratif de Grenoble sont particulièrement intéressantes au regard tant des raisonnements, présentés de manière pédagogique, que des solutions prétoriennes qui s’en dégagent.
Tribunal administratif de Grenoble, ordonnance du 9 avril 2021, n°2101609, jugement de la 5ème Chambre, 30 mai 2023 n°2002427, 2004369, 2004919 C+
En exploitant l’avis de l’Autorité environnementale, extrêmement critique, ainsi que celui de la commission d’enquête comportant d’importantes réserves, le juge des référés a suspendu en 2021 l’exécution de 5 UTN du SCoT (projet de La Croix du Sud, extensions des domaines de Val Cenis et de Valloire, Liaison les Karellis-Albiez Montrond, partiellement extension du domaine skiable d’Aussois) au regard de ses conséquences négatives sur les milieux naturels, les paysages, la biodiversité, les écosystèmes et la lutte contre le réchauffement climatique. Le juge s’est prononcé dans le cadre d’un référé environnemental, nécessitant la reconnaissance d’un avis défavorable de la commission d’enquête, en se livrant à une requalification de ce qui était parfois présenté comme de simples recommandations. Il opère pour cela une analyse concrète de leurs contenus, en relevant notamment la binarité des termes employés par la commission :
« Compte tenu du contenu de cette recommandation qui s’exprime, pour la seconde partie, en termes binaires, soit le basculement gravitaire est possible, soit il ne l’est pas, elle doit être regardée comme une réserve. Celle-ci n’a pas été levée. L’avis est donc défavorable en ce qui concerne cette unité touristique. »
Le caractère partiel de la suspension s’explique en l’occurrence par la nature de la procédure de référé, impliquant de ne retenir que les moyens de nature à créer un doute sérieux sur la légalité du document. Le juge a rejeté dans ce cadre les conclusions sans lien avec les réserves de la commission d’enquête. Il envisage ainsi une divisibilité de la condition d’urgence, qui peut ne porter que sur une portion du document de planification en question. Il serait alors envisageable d’étendre cette solution à tout document divisible (permis de construire ou d’aménager notamment).
Cette approche peut être discutée, dans la mesure où, en matière de référé suspension comme environnemental, l’ouverture de la condition d’urgence ou d’avis défavorable ouvre en théorie la possibilité d’invoquer tout moyen. Toutefois, il s’agit, à notre connaissance de la seule suspension de SCoT jamais ordonnée en France et une décision par nature non collégiale, qui impliquait nécessairement une certaine prudence du juge des référés.
Sans prétendre à une analyse exhaustive d’un jugement très riche, il convient de relever que les juges du fond ont pu, quant à eux, apprécier dans un cadre collégial les conséquences concrètes et détaillées des extensions de domaines skiables à Saint François Longchamp, Albiez-Montrond, les Karellis, à Valloire, Valmeinier et Val Fréjus, Aussois et Val Cenis et du projet de Club Med à Valloire sur l’environnement, les zones humides et les paysages.
Le moyen tiré de la méconnaissance des grands équilibres prescrits par l’article L. 101-2 du code de l’urbanisme en raison du dimensionnement excessif des nouveaux lits touristiques a également été admis. La juridiction a relevé dans ce cadre l’absence « de maîtrise de l’étalement urbain sur des zones de montagne aux intérêts environnementaux et patrimoniaux importants » et de vision économique à long terme du document.
Cette solution est d’autant plus justifiée que le dimensionnement des lits touristiques dans les stations de ski est économiquement lié aux projets d’extensions des domaines skiables (et inversement). L’illégalité des unités touristiques nouvelles remettait nécessairement en question ce dimensionnement et le volet économique du projet de territoire du Pays de Maurienne.
La juridiction s’est également prononcée sur l’insuffisance, en l’occurrence criante, de l’évaluation environnementale propre aux unités touristiques nouvelles.
Le Conseil d’État avait déjà, dans un arrêt de principe, jugé que les unités touristiques nouvelles constituaient des plans et programmes au sens du droit de l’Union européenne et imposé en conséquence la réalisation d’une évaluation environnementale préalable à leur création.
Dans cette lignée jurisprudentielle, le tribunal administratif de Grenoble a précisé que l’unité touristique nouvelle est bien le périmètre programmatique pertinent pour apprécier le degré de précision que doit avoir une évaluation environnementale, que celle-ci soit intégrée ou non dans le cadre d’un document plus vaste :
« Il résulte de l’ensemble de ces dispositions que si un schéma de cohérence territoriale, compte tenu de sa portée et du fait qu’il n’est pas un instrument avancé de planification urbaine, peut contenir une analyse globale moins fine qu’un autre document de planification, en revanche tel n’est pas le cas des schémas de cohérence territoriale qui prévoient la création d’unités touristiques nouvelles structurantes en vertu de l’article L. 122-20 du code de l’urbanisme et qui doivent donc pour celles-ci comporter une évaluation environnementale plus spécifique, même si elle est formellement incluse à l’évaluation environnementale globale du rapport de présentation. »
En d’autres termes, le SCoT est certes un document de planification portant sur un large territoire. Toutefois, quand il créé des unités touristiques nouvelles, il planifie des projets détaillés sur une portion de territoire plus réduite. Il doit alors appréhender de manière suffisamment précise les conséquences environnementales et paysagères de cette création.
Cette approche est essentielle au stade de la planification dans un contexte jurisprudentiel tendant à faire échec aux recours contre les autorisations de construire ou d’aménager lorsqu’est évoqué le découpage artificiel d’un projet unique dans le but d’estomper son vérifiable impact.
Cette jurisprudence du tribunal administratif de Grenoble a déjà des conséquences en cascade sur l’ensemble des Alpes françaises sur les projets de SCoT et de PLU intégrant des unités touristiques nouvelles. Un appel a été interjeté par le Syndicat du Pays de Maurienne contre le jugement au fond.