Une procédure de participation du public obligatoire
Les propriétaires de terrain peuvent retirer leur terrain du périmètre des associations locales de chasse pour des questions d’opinions personnelles, sous certaines conditions de délai et de formalisme. Cette possibilité a été introduite par la loi n°2000-698 du 26 juillet 2000, adoptée suite à la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme dans le cadre de l’arrêt du 29 avril 1999 Chassagnou (Grande Chambre n°25088/94, 28331/95 et 28443/95).
La Cour a considéré que l’impossibilité de sortir son terrain de la chasse constituait une violation des articles 11 et 14 de la Convention protégeant la liberté d’association et interdisant toute discrimination du fait des opinions et de l’article 1er du protocole n°1 protégeant le droit de propriété :
Contraindre de par la loi un individu à une adhésion profondément contraire à ses propres convictions et l’obliger, du fait de cette adhésion, à apporter le terrain dont il est propriétaire pour que l’association en question réalise des objectifs qu’il désapprouve va au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer un juste équilibre entre des intérêts contradictoires et ne saurait être considéré comme proportionné au but poursuivi.
Toutefois, pour l’heure, l’organisation de battues, si des dommages importants aux cultures ou des questions de sécurité sont en jeu, peut être autorisée par le préfet ou le maire sur la base de leurs pouvoirs de police, y compris sur le terrain de personnes défavorables à la pratique de la chasse.
Dans une commune rurale, près de Nantes, un couple, ont constitué une réserve de vie sauvage, conventionnée comme telle avec l’association pour la protection des animaux sauvages et ont créé par ailleurs un refuge pour animaux domestiques sur leur propriété.
Le 15 janvier 2021, des lieutenants de louveterie et une soixantaine de chasseurs accompagnés de leurs chiens sont pourtant arrivés chez eux pour mettre à exécution une battue aux sangliers.
Autorisés par le préfet de Vendée dans le cadre d’un arrêté autorisant autant de battues que nécessaires, les participants ont entrepris de chercher des sangliers sur ce terrain, en vain, pour finir par abattre un unique sanglier à plusieurs kilomètres de là.
Le calendrier de ce dossier était particulier : le préfet de Vendée avait pris son arrêté moins de 7 jours après la réception d’un courrier alléguant la présence de sangliers sur ce terrain en particulier. Cette précipitation laissait ce couple dubitatif quant au sérieux des vérifications entreprises, leur parcelle, peu boisée et relativement étroite, étant peu propice au séjour prolongé de cette espèce.
Cette opération de battue – très fructueuse et payée avec des deniers publics – s’est avérée particulièrement traumatisante pour les requérants, visés par des actions récurrentes d’intimidations du fait de leurs opinions personnelles.
Madame H et Monsieur F ont donc introduit un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de l’arrêté préfectoral. Parmi d’autres moyens, les requérants ont invoqué l’absence d’organisation préalable d’une procédure de participation du public.
Le tribunal administratif de Nantes a fait droit à leur demande, ce 13 février 2023, estimant qu’un arrêté autorisant la tenue de battues administratives sans limitation quant au nombre de battues à organiser et de sangliers à détruire, permises de surcroît dans un périmètre comprenant une zone où l’exercice de la chasse est interdit, ne pouvait être regardé comme dépourvu d’incidences sur l’environnement. Tribunal administratif de Nantes, 13 février 2023, n°2101537
En l’absence de démonstration de dommages importants aux cultures dans les environs et d’un nombre significatif d’accidents de la route causés par des sangliers – qui constituaient par ailleurs des conditions de fond quant à la légalité de la mesure – le tribunal administratif rejette l’argument du préfet selon lequel l’urgence justifiait l’absence de participation du public.
Ce jugement intervient dans un contexte légal et jurisprudentiel justifiant cette position.
Il y a déjà plus de 10 ans, le 4 mars 2010, la Cour de justice de l’Union européenne a condamné la France en raison d’une législation postulant que la chasse n’était pas une activité perturbante pour l’environnement. CJUE, 4 mars 2010, n°C-241/08
L’article 7 de la Charte de l’environnement postule que toute personne a le droit de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. Cette obligation de participation, à valeur constitutionnelle, est notamment retranscrite aux articles L.120-1 et L.123-19-1 du code de l’environnement.
Sur ces fondements, les juridictions administratives censurent régulièrement des arrêtés autorisant des battues administratives. L’absence de respect de la procédure de participation du public du code de l’environnement entache l’arrêté d’illégalité en ce qu’elle prive les intéressés d’une garantie.
Cette solution est régulièrement rappelée par les juridictions. Tel est le cas de battues permises pendant 10 mois permettant la destruction de 1000 renards dans tout un département (CAA Nancy, 22 janvier 2015, n° 14NC00545) ou encore de 10 arrêtés autorisant des battues sur tout le département à l’encontre de renards et de ragondins donnant par ailleurs un pouvoir d’appréciation trop important aux lieutenants de louveterie (TA de Melun, 30 juin 2016, n°1507237).
Plus récemment, le tribunal administratif de Rennes a annulé un arrêté du préfet des Côtes d’Armor autorisant l’organisation de 20 opérations de régulation des populations de sangliers sur le territoire de trois communes, ne prévoyant pas de plafond quant au nombre d’animaux pouvant être tués. Tribunal administratif de Rennes, 23 février 2023, n°2003458
Le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a également admis que le moyen tiré de l’absence de participation du public était notamment de nature à créer un doute sérieux sur la légalité d’un arrêté autorisant des battues administratives de destruction d’autant que nécessaire sangliers, cerfs, daims et chevreuils. TA Poitiers, 27 juill. 2023, n° 230177
Toutefois, si ces dossiers ne nécessitaient pas de plus longs développements au regard de l’illégalité des décisions en l’absence de participation, la question de la conformité de la législation française aux normes constitutionnelles et européennes reste entière.
En premier lieu, le droit à un accès efficace au juge est ici bafoué : dans l’hypothèse où un arrêté de battue n’est pas précédé d’une participation du public, des propriétaires peuvent se retrouver, du jour au lendemain, avec des dizaines de chasseurs sur leur terrain sans préavis. Ainsi, leur référé suspension serait rejeté puisque l’arrêté déjà exécuté en l’absence d’urgence. Même à introduire un référé liberté, ce dernier serait jugé au mieux en 48h, soit après l’organisation de la battue CE, juge des référés, 19 mars 2020, n° 439583)..
En second lieu, les préfets n’ont pas pour pratique la prise en compte des opinions des éventuels opposants à la pratique de la chasse. Aucune alternative n’est offerte aux opposants de conscience, notamment la prise en charge financière des dégâts, si un lien de causalité peut être démontré entre la présence d’animaux sauvages sur leur terrain et lesdits préjudices. Ainsi, même prises sur le fondement de pouvoir de police, ces arrêtés de battues aboutissent à une atteinte à la liberté de penser et au droit de propriété non proportionnée au but poursuivi.
Les personnes qui sont défavorables à la chasse sont ainsi obligées de supporter sur leur fonds la présence d’hommes en armes et de chiens de chasse sans avoir le temps de contester cette présence en justice et sans bénéficier d’une alternative prenant en compte leurs opinions.